Rencontre avec Patrick, propriétaire du bureau de change Merson, 33 rue Vivienne 75002 Paris, changeur depuis 40 ans et fondateur du bureau, qui nous explique les travers et astuces de son métier.
– Comment devient-on agent de change ?
Souvent par hasard, il n’y a pas vraiment de cursus type. Personnellement j’étais marchand de timbres et de pièces de collections. Et de fil en aiguille, j’ai eu l’opportunité de devenir changeur en 1983 et d’ouvrir mon bureau de change. La plupart des gens que j’ai chez moi ne faisaient pas ce métier avant. Et je les ai tous recrutés sur recommandation, car c’est un métier de confiance, on n’embauche pas n’importe qui.
– Quelles sont les qualités d’un bon agent de change ?
Il faut bien sur avoir un bon esprit comptable, et une bonne attention pour les billets : soit on a l’œil, soit on ne l’a pas. C’est essentiel pour détecter les faux billets. Ensuite c’est un métier de rigueur. Il faut être organisé et pointilleux, rapide. Les billets sont rangés d’une certaine manière, il y a un ordre pour chaque chose. C’est un métier où l’on manipule beaucoup d’argent, il faut être observateur, être à l’affut de tout qui peut semble anormal. Discrétion et confiance sont de mise : il est essentiel que les clients voient qu’ils ont affaire à des professionnels.
– Quel est le quotidien dans un bureau de change ?
L’ouverture du bureau et la caisse le matin, les vérifications des comptes bancaires sur internet, en fin de journée le stock des devises. Et bien évidemment tout la journée l’achat et la vente de devises. Nous avons en moyenne 250 clients par jour.
– Les taux pratiqués sont parfois très différents entre 2 bureaux de change, ce qui perturbe nombre de voyageurs. Comment expliquer ces écarts ?
Ces différences sont liées aux frais. Les gens qui sont dans des endroits stratégiques ont des frais fixes importants, notamment au niveau des loyers. Un bureau qui se trouve sur un spot touristique pratique donc logiquement des marges plus élevées. Nous qui sommes dans le quartier de la bourse, nous avons des frais généraux faibles. Un bureau de change dans le quartier de l’Opéra paye en un mois le loyer que nous payons en un an.
D’autres bureaux réussissent quand même à proposer des taux plus faibles malgré une localisation stratégique. Comme ils rentrent beaucoup de devises, ils les bradent. Mais a contrario, ils payent mal à l’achat. Nous toute l’année, nous avons des prix réguliers. Sur des monnaies courantes, quand il y a de la demande on paye le spot (cours international d’une monnaie), quand il n’y a pas de demande on paye 1,5 % au dessus du spot.
Sur des monnaies exotiques, la marge va être plus importante, de l’ordre de 5 à 7%. Parce que ce sont des devises que nous ne trouvons pas en France, les seuls à en avoir sont les grossistes. Nous avons par exemple vendu 50.000 € de brésil ce mois ci, mais nous n’avons aucun brésilien qui nous en vende. Donc nous achetons le cours central +5% et nous vendons +7 % pour réaliser une marge de 2%. Les gens qui veulent trouver du brésil au taux du cours central ne trouvera jamais car le grossiste vend déjà à +5%. Il faut faire venir les devises en fret aérien, il faut payer les assurances. Il y a des frais de fonctionnement importants pour faire venir les fonds.
– C’est toujours plus avantageux de changer sur place ?
Dans les pays émergents oui. Mais vous arrivez aussi dans un pays que vous ne connaissez pas, avec une langue que vous ne maitrisez pas, dans les aéroports c’est un massacre à coup de 10-15% de marge, alors au final 7% en France ce n’est pas si mal ! Ca évite des problèmes…
Dans d’autres pays, c’est par contre plus avantageux de changer avant le départ : Aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, la marge des marchands est colossale, de l’ordre de 7 à 15%.
– Le développement d’internet a-t-il changé le métier du change ?
Pas vraiment. Il y a beaucoup de changeurs sur internet, mais avec des coûts plus forts. Parce qu’encore une fois, il y a des frais généraux en plus, de logistique et de livraison. De plus, l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel) est très réticente sur ces ventes, pour des questions de traçabilité de la monnaie. Nous le faisons occasionnellement, mais nous sommes extrêmement vigilants avec le contrôle d’identité de la personne.
– Le métier d’agent de change est-il risqué ? Avez-vous déjà été victime de braquages ou d’escroqueries ?
Nous avons un métier dangereux car nous manipulons beaucoup d’argent. Nous avons des systèmes de sécurité un peu partout, mais ça ne suffit pas toujours. Il y a 3 ans, nous avons été attaqués par deux types à la masse. Nous avons un système de sécurité très efficace : on appuie sur un bouton et en une minute, le magasin se remplit de fumée, on ne voit plus rien. Mais là, malheureusement le système n’a pas fonctionné, ils ont pris 200.000 €. C’est rare, mais ça arrive.
Nous avons eu plusieurs autres tentatives, et dès que la fumée arrive les braqueurs s’en vont. Heureusement, nous n’avons jamais eu de conséquences physiques. Nous sommes surtout très attentifs et vigilants au quotidien, nous regardons tout, et alertons dès que quelque chose sort de l’ordinaire, si un type tourne bizarrement autour de la boutique par exemple.
– Existe-t-il une rivalité entre les différents bureaux de change ?
Chez nous pas tellement car ils ne peuvent pas suivre nos prix. Et nous sommes fixes sur nos marges toute l’année. Mais nous sommes au courant des prix dans le quartier, nous faisons le tour des bureaux chaque jour. Il y a un certain individualisme dans ces métiers, nous sommes peut-être 200 bureaux sur la place de Paris et tout le monde se connait.
– Quelles sont les arnaques les plus fréquentes rencontrées en matière de change, du côté des voyageurs ?
Bien sûr dans les ventes à la sauvette, il y a deux billets de 100 dollars dans une liasse, et le reste sont des billets de 1 dollar. C’est classique. Il faut se méfier.
– Que pensez-vous du phénomène de change entre particuliers qui se développe dans certains pays, mais qui pour le moment interdit en France ?
Ce n’est pas viable. Au niveau de la sécurité, de la traçabilité, c’est chaotique. Un professionnel est habilité à détecter les faux. Alors qu’un particulier ne fera pas la différence et revendra à son voisin des faux billets. Selon moi ça ne peux pas se développer car c’est extrêmement dangereux. Les gens qui ont tenté ce système se basent sur des sites touristiques ou les changeurs « massacrent » les clients avec des taux très forts. Il y a des endroits ou entre l’achat et la vente, sur 1.000 dollars vous avez 100 euros de marge. Nous il y a moins de 10 €. Ca ne vaut juste pas la peine de prendre le risque de se retrouver avec des faux ou des billets n’ayant plus cours…
– Quels conseils pourriez-vous donner aux voyageurs qui désirent changer de l’argent ?
Tous les endroits touristiques sont à proscrire, les banques ainsi que les aéroports et les gares. Il faut aussi prendre en compte l’ancienneté des maisons. Il faut se méfier des bureaux qui ouvrent et ferment du jour au lendemain. Et il faut comparer les prix acheteur/vendeur bien évidemment, tout en gardant à l’esprit qu’il est possible d’avoir des taux faibles, mais pas nuls, dont on oublie le change dans la rue !
Et puis il faut toujours faire très attention avec son argent, ne pas le manipuler dans la rue, attention aux sacs pour les dames. Il y a beaucoup de vols au sortir des bureaux de change. Donc prudence.
© Alexandra
Très intéressant de laisser la parole à ce genre de personne. On connait rarement comment se passe le quotidien d’un agent de change. C’est un métier assez flou. Par contre, pour reprendre une remarque évoquée dans cet article, je pense qu’il doit être difficile de prendre en compte l’ancienneté d’une maison de change, surtout à l’étranger…
Je voudrais savoir quelles formations faut il suivre pour pouvoir acquérir et gérer un bureau de change. Merci